Dans les jours et les semaines qui suivent le décès de Joannès, la famille Prudhomme reçoit un grand nombre de lettres de condoléances,
elles proviennent d’amis de la famille tels les propriétaires de l’hôtel Beau Site à Talloires qui s’excusent de ne pas être venus à la sépulture à cause du mauvais temps et qui ajoutent un P.S.
qui aujourd’hui nous paraît fort incongru, « si vous pouviez nous apportez une cervelle, S.V.P. ». C’est Mlle de Joannis, l’infirmière de Gérardmer qui est pleine de sympathie pour Mme Prudhomme,
ce sont aussi ses camarades tel Edmond Eyriès[1], marin à bord du Démocratie.
« Bizerte le 14
juin 15
Monsieur et Madame Prudhomme,
C’est
avec un bien grand serrement de coeur que j’ai appris en mer la mort de votre fils chéri, mon cher et bon ami Joannès.
Certes
nous vivons une époque terrible mais glorieuse entre toutes, car le destin a voulu qu’il nous soit réservé, ainsi qu’à la génération actuelle, la lourde tâche d’anéantir une horde de
barbares, un peuple de sauvages et de bandits qui restera pour toujours la honte de l’humanité.
Nous luttons tous courageusement et nous
ne serons satisfaits que lorsque notre tâche aura été intégralement accomplie : nous avons trop d’amis et de morts sympathiques à venger, nous nous acquitterons avec le plus grand courage de cette noble mission ; nous
voulons que nos fils et tous nos descendants puissent vivre en paix et n’aient jamais plus à redouter une horreur pareille, nous y arriverons, il le faut.
Croyez,
cher Monsieur et chère Madame Prudhomme, que le souvenir très affectueux de votre enfant chéri, de mon ami intime Joannès, ne s’effacera jamais de ma mémoire car je ne saurai jamais oublier sa jovialité, son
coeur d’or, le bon camarade d’enfance en un mot que ces affreux boches m’ont ravi.
Veuillez agréer chers Monsieur et Madame
Prudhomme ainsi que toute votre famille, l’expression émue et mes sentiments de condoléances bien attristés, et être persuadés que je prends une large part à votre immense douleur. Un souvenir bien affectueux
à mon cher et affectueux Joannès de son tout dévoué ami. »
[1] Edmond Eyriès, né le 19 juin 1892 à Sens, ajusteur mécanicien à Macon, fils d’Henri Eyriès, maire de Faverges de 1912 à 1919. Incorporé le
8 octobre 1913 dans la Marine, il est, au début de la guerre, canonnier sur le cuirassée Démocratie. Le 15 novembre 1916, il embarque au Pirée, avec une centaine d’autres permissionnaires, à bord du Suffren pour se
rendre à Lorient. Le 26 novembre, Le Suffren est torpillé dans le Golfe de Gascogne. Il n’y eut aucun survivant.